Quatre livres dont je suis gaga(llimard) [ADA, REGNE ANIMAL, CHANSON DOUCE, CHARLOTTE]

Mes esperluettes,

Ce qui s’est passé ce 8 Novembre Outre-Atlantique, est sans précédent et sera lourd de conséquences, aussi inquiétantes qu’incertaines.
Alors je me suis dit que se plonger dans les livres, les mots ; et l’odeur des pages qu’on tourne, serait une parenthèse de réconfort bienvenue.

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C’est un hasard si cette sélection ne propose que des livres de la maison Gallimard (vous pensez bien que l’institution familiale ne m’a pas sollicitée pour écrire cet article!) : j’ai trouvé leur rentrée littéraire très belle.

Mais comme vous pouvez le voir ici ou sur instatruc, je ne suis pas une monothéiste de la littérature !

Voici quatre livres qui m’ont récemment touchée :

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📖 Charlotte de David Foenkinos, édition illustrée avec des gouaches de Charlotte Salomon.

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Tout comme Foenkinos n’avait jamais ressenti ce qu’il a ressenti à la vue de l’œuvre de Charlotte Salomon ; je n’avais jamais éprouvé ce que j’ai éprouvé à la lecture de ce livre retraçant sa vie.
Et je peine d’ailleurs à trouver les mots pour en parler, tant en ce qui concerne le fond déchirant, que la forme unique.

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A la sortie initiale du livre, en 2014, je m’y étais intéressée et informée, mais ne comptait pas vraiment le lire, pensant que ma médiocre connaissance de l’art m’empêcherait de faire mien ce roman.
Et j’avais tort, tout comme avec  Petit Pays , que je craignais de ne pas comprendre, ne connaissant pas assez le contexte du Burundi et du génocide Rwandais.
En effet, « Charlotte » était une peintre allemande d’une inventivité et d’une profondeur sans pareils ; et dans cette édition, l’on retrouve au fil des pages 50 de ses gouaches. Gouaches qui furent « toute sa vie »…Œuvre frénétiquement achevée avant que…

C’est donc l’esthétique de cette édition qui a attiré mon œil dans le rayon.
Et je pense que la présence des peintures au sein du livre a également participé de ce ressenti unique.

Charlotte

La vie de Charlotte Salomon fut brève, mais intense : tant parce-qu’elle avait besoin d’une introspection quasi démente pour créer ; que parce-qu’un accès de lucidité l’a amenée à retranscrire sa vie en peintures, pour laisser une trace avant sa disparition qu’elle imaginait proche.

En effet, la famille de Charlotte Salomon, privilégiée socialement, était juive, donc piétinée moralement. Bien en amont de la 2nde guerre mondiale, l’auteur montre que l’étau se resserre sur les juifs, les opprimant au quotidien. Charlotte est une élève brillante, mais les lois lui interdiront d’étudier, un an avant son bac.

Il y existe énormément de livres sur la seconde guerre mondiale, mêlant nécessité de se souvenir, de mettre des mots, de faire entendre sa voix ; et trop-plein pouvant virer à la saturation.
Jamais un livre sur ce sujet qui me passionne ne m’avait tant saisie. Peut-être parce-qu’on se plonge dans la vie de cette famille soudée mais escarpée : ce livre ne pouvait que s’appeler « Charlotte », tant Foenkinos s’est plongé, imprégné et immiscé dans la vie de Charlotte Salomon, s’intéressant à son histoire et son œuvre de manière obsessionnelle, car cette dernière a résonné en lui de manière à l’habiter. Ainsi, l’auteur nous transmet à son tour cette immersion entière dans une œuvre unique, ici le livre, qui a requis un travail documentaire considérable…l’œuvre d’une Vie.

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Avant d’être victime d’une barbarie -ici décrite d’une manière charnellement déchirante- Charlotte a aimé passionnément un homme inaccessible et insondable comme elle ; a échappé à la longue lignée suicidaire de sa famille, presque perpétuelle et indéchiffrable. Et surtout, Charlotte est une peintre dont ses proches et Foenkinos ont instantanément reconnu le talent novateur et inventif. Honnêtement, je m’y connais trop peu en peinture pour émettre un jugement, mais la présence de ces gouaches dans le récit, m’ont je pense été essentielles, bien qu’insaisissables. La bienveillance qu’elle a su trouver auprès de ses protecteurs lui a d’ailleurs plusieurs fois sauvé la vie.

Alors qu’elle le pouvait encore, mais non moins déchirée, Charlotte fuit seule pour la France, où ses grands-parents effilochés se sont réfugiés. Alors que ces derniers se dissoudront peu à peu, Charlotte va créer : elle fait de sa vie une œuvre théâtrale couchée sur le papier ; d’abord spontanée, ressentie nécessaire dans sa chair ; puis contrainte et précipitée par le contexte de la guerre, et les rafles qui se multiplient…atteignant même le Sud que l’on croyait protégé et protecteur.

Charlotte mourra à Auschwitz en 1943, enceinte de 5 mois.

L’on comprend que c’est Auschwitz : Foenkinos a éprouvé le besoin de faire des phrases brèves qui vont chaque fois à la ligne ; et surtout, tout n’est pas dit, la subtilité vient de l’implicite, qui n’empêche pas que l’essentiel soit dit et que le lecteur s’immerge littéralement dans ce livre, cette œuvre, cette vie.

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📖Ada d’Antoine Bello 

Ada

J’aime beaucoup les livres qui traitent d’enjeux sociétaux ;  et Antoine Bello le fait avec originalité et perspicacité dans « Ada », donc ce livre ne pouvait que me plaire !

Je ne m’attendais pas à rire autant, c’est très rare pour moi.
Rien de plus subjectif que le rire ; mais outre l’humour, ce roman a plusieurs cordes à son arc : aussi légères grâce au cocasse ; que consternantes par les évolutions sociétales dépeintes.

Antoine Bello est un écrivain franco-américain vivant aux Etats-Unis. Bien qu’entrepreneur lui-même, il fait preuve dans ce livre de recul et de lucidité sur les rouages du libéralisme américain. Il traite souvent dans ses livres de sujets technologiques, sociétaux, ou de projection.
Ici, il mêle à nouveau le policier et le fictionnel pour nous plonger dans l’enquête de l’inspecteur Logan, qui doit retrouver Ada, une intelligence artificielle programmée pour écrire des romans à l’eau de rose à succès.

Autant qu’elle m’a inquiétée, c’est Ada elle-même qui m’a beaucoup fait rire : elle est complètement perchée, mais ses sorties sont aussi cocasses que perspicaces.
Il ne faut pas lui en vouloir, elle ne connait du monde, que ce qu’on veut bien lui en donner à voir, à travers certains livres seulement.

Très vite, l’enquête policière se voit écartée du premier plan, pour laisser place aux interrogations sociétales, voire philosophiques sur l’intelligence artificielle et les projections qu’avaient ses créateurs.

En effet, ce que j’ai trouvé très intéressant dans ce livre, c’est de se plonger dans les rouages aussi obscurs que réalistes, de la Silicon Valley. Et ce, d’autant plus que l’on sent la fibre française de l’auteur, ce qui permet une tonalité différente de celle présente dans les livres écrits par des américains.
L’auteur montre bien qu’ici, l’enjeu manipulé en vue de réaliser des profits, c’est la langue, les écrits, le savoir, l’intellect et la compréhension du monde.

Ce n’est pas tant un livre d’anticipation : des intelligences artificielles écrivent déjà des articles ; notre quotidien est encerclé et déterminé par des algorithmes ; l’IA est en cours de perfectionnement et donc de concrétisation.
« Ada » met finement en perspective ce « progrès » à venir, et son impact sur l’appréhension du monde, sa connaissance, et le discernement de l’intellect.

De nouveaux modes de création sont à l’œuvre, et ils détermineront, entre autres, les futurs écrits.

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En parallèle de ce processus de création technologique et algorithmé ; Antoine Bello dévoile un processus de création plus émotionnel : la délicatesse des Haïkus. En effet, comme Ada  s’immisce dans la sphère personnelle de Frank, on en apprend beaucoup sur sa vie privée : sa femme aussi aimée que politiquement exaltée ; ses enfants ; et ses passe-temps.
Connaissiez-vous les haïkus ? Ce sont de courts poèmes japonais aux règles bien précises, qui requièrent finesse et concentration.
Plus qu’une passion, cette bulle de création presque méditative, est devenue pour Frank une nécessité depuis des années ; et le lecteur (re)découvre avec lui les règles, traditions et maitres de cet art japonais.

La plume de la poésie, parenthèse de douceur, d’introspection et de réflexion ; dans un monde où un profit algorithmé, algorithme lui-même un quotidien pressé.

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Ce livre n’est pas un pamphlet contre le progrès et la technologie ! Cela n’aurait aucun sens : il est au contraire intéressant car il met en perspective plusieurs pans de la société, et ce qui déterminera leur évolution, et donc celle de notre environnement. Et met le lecteur face à ses propres contradictions, via celles du personnage principal.

 

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📖 Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo

Un autre « enjeu sociétal » qui me tient autant à cœur que la langue : la condition animale.
Le jeune auteur (de son vrai nom Jean-Baptiste Garcia) est lui-même végétalien (vegan ?) et militant pour la cause animale.

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«Le temps semble avoir fini d'agoniser et s'être enfin suspendu dans l'étale clarté d'un matin»… Je suis en train de lire "RÈGNE ANIMAL", un roman ample dans son ambition, ses enjeux et ses descriptions, vers lequel j'ai été attirée car il aborde entre autres la question de la relation de l'homme à la nature, mais aussi des hommes entre eux. On suit le quotidien aride d'une famille agricole qui finira par élever des porcs; tout en percevant les échos lointains mais décisifs du contexte national durant le XXème siècle : guerres, restructurations sectorielles, crise industrielle. J'y réalise que cruauté, dédain et vision utilitariste envers les animaux ne datent pas d'hier; de même qu'une brutalité de la part d'hommes pourtant sensibles du fait de la pression de tâches aliénantes. Jean-Baptiste Del Amo dépeint le sang, le désir, la cruauté, la déliquescence, l'espoir, la sueur, la saleté, l'acharnement au labeur, l'aridité familiale, et le quotidien, avec une même distance monocorde et naturaliste. Bien qu'il soit lent, je suis happée par ce #roman où la nature et les animaux sont omniprésents et déterminent le quotidien. Dans "Règne" j'entends ainsi omniprésence des animaux, mais aussi domination de la volonté des hommes. Qui est le plus animal? Dans cet univers maladroitement pieux, on oscille entre Seigneur et saigneurs. L'avez-vous lu ? 📖 #book #livre #règneanimal #lire #bookstagram #lecture #rentreelitteraire2016 #nature 🐷 #greenblog #veganfood #vegan #crueltyfree #veggie #plantbased #naturelover 🐓 #végétalien #animal #blogàfeuilles #thé #tea #greentea

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Au premier abord, c’est d’une fresque familiale qu’il s’agit, s’étendant sur quatre générations d’une famille aussi sèche et complexe (au sens de « riche ») que l’écriture de l’auteur. Avec pour fil rouge Eléonore, enfant puis aïeule, témoin de la déchéance de sa famille.
Cette sphère structurée autour de l’exploitation agricole,  connaîtra deux guerres (la première sera la seule dépeinte explicitement, marquant les corps et les cœurs) et des révolutions sociétales et industrielles.

Mais, en parallèle de la description crue de cette famille marquée par les non-dits et les souffrances, Jean-Baptiste Del Amo donne à voir -avec un détachement aussi troublant qu’approprié- les conditions de vie et de traitement des animaux d’élevage.

Dès le 19ème siècle est perceptible la vision utilitariste de ces derniers, et le décalage avec les « animaux de compagnie ».

Mais le plus insoutenable advient après les révolutions industrielles, quand le profit et la démesure prennent le pas sur la relative authenticité du siècle précédent.
Et si dans « ADA », l’enjeu manipulé pour faire du bénéfice est la langue ; ici se sont des cœurs qui battent, des bêtes sensibles, des chairs qui souffrent.

Règne animal

La puissance de l’écriture témoigne d’une fine connaissance et analyse du monde de l’élevage et de la ruralité. Le style est aussi ample que son objet d’étude, et la description naturaliste se déploie avec une distance qui n’empêche pas la cruauté.

La description du traitement des animaux est physiquement insoutenable, mais l’on ne peut que laisser les pages s’enfiler, car cette lecture est cruciale, au sens du point auquel notre société est parvenue.
Nous, sensibles à la cause animale, pensions avoir une idée de ce que subissent les animaux d’élevage, mais les vidéos de L214 semblent encore nous épargner bien des atrocités, qui sont leur réalité quotidienne, et que Del Amo couche ici sur le papier, comme une nécessité.

Mais le relatif détachement de l’auteur (pourtant si attaché à cette cause) m’a également donné l’impression qu’il ne stigmatisait pas tant les éleveurs : ceux-ci sont la source physique des traitements barbares, mais sont aliénés par une pression  supérieure, qui déterminent leur survie à eux aussi.
Leur quotidien est également innommable de dureté et de souillure, et mèneront d’ailleurs plusieurs membres de cette famille vers la folie et l’aliénation.

Un roman ample, d’une description incroyablement riche, et qui met en perspective bien des aspects de notre société.

Règne animal

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📖 Chanson douce de Leïla Slimani

Si seulement ce livre ne faisait que nous mettre une chanson en tête…

 

Plus encore que l’histoire, c’est l’atmosphère qu’elle produit qui saisit dans ce livre : une emprise très bien construite, qui témoigne d’un regard relativement fin sur la société. D’autant plus étouffante si l’on a des enfants.

Leïla Slimani, jeune auteure de talent, a elle-même eu une nourrice quand elle vivait au Maroc ; mais cette tragédie est tirée d’un fait divers qui s’est produit à New-York.

Au sein de ce couple parisien, si Paul travaille dans le milieu artistique ; Myriam est une maman à plein-temps, aimante et protectrice au point d’en être oppressante. Elle choisit néanmoins de retrouver son métier d’avocate qui lui tient d’autant plus à cœur qu’elle est brillante.
Cela implique de confier ses enfants à un(e) autre…Et dans confier il y a confiance.
Le casting ne laisse donc rien au hasard, et les nounous s’enchainent…en vain ; jusqu’à ce qu’ils trouvent Louise qui les séduit comme le ferait un coup de foudre.

Chanson douce, Prix Goncourt 2016

Le lecteur se représente une Louise « pure » : elle est frêle, (blanche !), dévouée, mignonne, propre sur elle voire maniaque.

Très vite, la relation triangulaire devient intense : bénéfique puis dévastatrice, car toujours aliénante.

Libéré de leur préalable omniprésence auprès des enfants, à présent prise en charge (avec tant de bienveillance et d’implication.. !) par Louise, le couple retrouve le temps et le goût de sortir, de recevoir, de s’aimer.

« Louise devient vite indispensable ».

Mais l’ange a ses secrets et ses démons, qui vont vite reprendre le dessus, pour l’envahir et faire s’effondrer l’équilibre familial et sa candeur retrouvée.

Trop beau pour être vrai…
L’issue du livre est connue dès le début (comme dans « l’Autre qu’on adorait ») et certains pourquoi resteront en suspens.

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Prenez soin de vous!

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(Article sur « L’Autre qu’on adorait » ici
Article « Sur les chemins noirs » ici)

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Pensées feuillues

article non sponsorisé 🎶


19 réflexions sur “Quatre livres dont je suis gaga(llimard) [ADA, REGNE ANIMAL, CHANSON DOUCE, CHARLOTTE]

  1. Coucou !

    Merci pour cette belle sélection et ce concours (pseudo écolorée :))

    Du coup, le livre qui m’a marqué dernièrement est celui que je suis en train de terminer : Johnny s’en va t en guerre. C’est une critique de la WWI, et de la guerre en général par le biais d’un soldat devenu un légume sans bras, sans jambe, sans bouche, sans yeux et sans oreilles. Seul avec ses pensées, on le suit à travers ses souvenirs et son présent où il tente de se repérer dans le temps, l’espace, les rêves et la réalité… Bref un peu long et pas très rythmé mais il fait réfléchir…

    Merci encore et belle journée ! (enfin ce qu’on peut en faire de beau)

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    1. Merci Julie pour cette belle critique ! Je ne connais pas ce livre, mais il me fait penser à « La chambre des officiers » : l’as-tu lu?
      Ou vu le film? 🙂

      Tu es « Ecolorée » sur Facebook?
      Je me trompe sans doute mais je ne te trouve pas dans les « j’aime » ?

      Très belle soirée !

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  2. bonjour je participe avec un grand plaisir ; moi j ai adore lire le livre de Antoine Leiris Vous n’aurez pas ma haine . un livre assez dur . mais a lire . merci fan sur facebook alice didasilva
    bonne journée

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