« On ajoutera les légendes dont on a besoin » : être happé par L’Effroi

Mes perles,

Je n’escomptais pas que cet article résonne aussi directement avec l’actualité. Je m’en désole, et c’est ce qui la rend effroyable..

img_7896

Effroi : grande frayeur ; souvent mêlée d’horreur ; qui glace, qui saisit.

Je viens de finir L’effroi, de François Garde, un livre passé inaperçu dans le flot de la rentrée, et qui m’a pourtant happée. Une belle découverte littéraire.

Happée parce-que je visualisais où se déroulait le récit, ayant eu la chance d’assister à des représentations à l’Opéra Garnier, via ma pratique de la danse.

Mais surtout intéressée par ce que soulève, sous-tend, questionne le texte, on ne peut plus « d’actualité ».

img_7895

Ce dernier dépeint au jour le jour la vie bouleversée de Sébastien Armant, altiste à l’orchestre de l’Opéra de Paris. En effet, sa vie bascule après qu’il eut « dit non » charnellement et spontanément : le soir de la première de Cosi Fan Tutte, le chef d’orchestre de renommée internationale, ouvre la représentation par un salut nazi. Sidération dans la salle et parmi l’orchestre, (involontairement) « mené » par Armant à tourner le dos au chef Craon.
Ces quelques secondes où Sébastien s’est levé et a refusé de participer à ce « crime », vont changer sa vie d’altiste jusqu’alors invisible : surinterprétation symbolique de son geste ; sollicitation de toutes parts et surreprésentation dans les médias ; projecteurs braqués sur ses faits et gestes…
Mais tous ne considèrent pas ce geste comme héroïquement républicain : Armant va recevoir lettres et menaces d’un groupuscule obscur qui soutient le chef Craon.
Au jour le jour, le quotidien de l’altiste change de contenance et de texture, la société de l’image, de la com et des médias s’empare de lui…et lui devient autre, se perd, perd ses repères, ses valeurs.

Vous le savez, une des tares contre lesquelles je dois lutter est mon cynisme, qui me fait me méfier des récupérations de sujets sensibles par bien-pensance.
En voyant ces thématiques de l’héroisme contemporain ordinaire, des valeurs républicaines, de la symbolique xénophobe contre laquelle un citoyen se soulève..je me suis donc méfiée.

Mais j’ai été très agréablement surprise par cette lecture, qui fait réfléchir sur notre environnement sociétal, et me semble plutôt réaliste.

effroi

L’on (re)découvre donc finement l’envers du décor de la création d’un héros médiatique : la communication, les agents qui gèrent les moindres faits et gestes en amont, les compromis pour n’altérer l’image et la carrière de personne.

François Garde semble vouloir montrer l’aspect irréel de ce que vit Armant, et de la situation dans sa globalité. Comment toute construction d’un « héros d’aujourd’hui » participe d’une frénésie médiatique et sociale. Comment ces personnages médiatiques se voient ôter leur authenticité.

Au-delà de la question médiatique et sociale, ce livre, à travers le geste de Sébastien Armant, pose la question –ancrée dans la Seconde Guerre, mais dans toute l’Histoire en général- de l’obéissance, de la prise de position face à l’autorité et à des gestes dont la symbolique transversale traverse l’Histoire..qui se répète, balbutie.

Mais cette symbolique est manipulée, récupérée.
Tout comme l’attitude de Sébastien : les agents apprécient son authenticité et sa spontanéité -valeur rare donc précieuse dans les médias- donc ils l’instrumentalisent..et l’orchestrent.

img_7893

L’attitude d’Armant est elle-même surprenante, car, bien que déconcerté, il semble se laisser porter. Inconnu la veille, il ne semble pas si troublé d’être surexposé et malléable.

C’est sans doute parce-qu’il se dédouble (« les deux corps du Roy » ?)  : le moi social et le moi intime…dont la frontière se bouille.
Mais l’on peut être surpris du relatif opportunisme avec lequel il se saisit des offres, alors que sa réaction repose sur des valeurs distantes, et même s’il conserve une certaine éthique.

op
opéradeparis

Je suis peut-être naïve, ou peut-être l’auteur parvient à nous faire croire à son récit : mais je pense que ce dernier est réaliste, qu’il perçoit finement ce qui se passe lors de la création d’un héros républicain, d’un objet médiatique, d’une cible sociale. Le basculement de la vie de celui-ci et les modifications qui se produisent en son for intérieur ; la manipulation par les médias qui vous saisissent et vous relâchent, sans jamais vraiment vous quitter (comme l’effroi.. ?) ; le trouble général…et l’hypocrisie de tout cela.

 

img_7894

Ce livre est donc intéressant du point de vue humain/existentiel (par une réaction spontanée, une existence bascule) ; social (les coulisses de la communication : une réaction surinterprétée par les médias ; le visage que la « cible » se donne).

Et il résonne douloureusement dans l’actualité socio-politique et géopolitique, française et internationale.

effroi

De plus, François Garde a une connaissance étonnamment  fine et minutieuse du monde de la musique : peut-être l’a-t-il côtoyé lui-même ?

 

Vous l’avez lu?

 

Pensées feuillues


Une réflexion sur “« On ajoutera les légendes dont on a besoin » : être happé par L’Effroi

Laisser un commentaire