Un livre couleur Causse de légume ! A déguster et interroger sans modération : Entretien avec Manu Causse

Le matin j’avais entendu à la radio une interprétation de Barbara, qui m’avait beaucoup touchée. J’en étais la première surprise car l’interprète n’est pas quelqu’un qui me touche.
Ce saisissant Dis quand reviendras-tu? m’a habité l’esprit et noué le ventre toute la journée.
Noué le ventre et serrée la gorge aussi, à la lecture du livre de Manu Causse : Le bonheur est un déchet toxique : quand Nathanaël continue de s’entretenir intérieurement avec son père.
D’espérer ses conseils.
Père qu’il vient de perdre.
Père qui l’a élevé, porté, construit seul.
À son décès, Nathanael devra donc se reconstruire auprès de sa mère qu’il ne connaît pas du tout.
Un père chaleureux, pragmatique, drôle.
Une mère illustrant le cliché de l’écolo-bio-vegan, qui aime comme elle peut, et se ressaisit après avoir sombré dans la dépression et plus encore.
Après avoir broyé du noir, elle s’est mise au vert. Elle a trouvé son équilibre dans cet environnement baba-roots, où Nat fera peu à peu son nid : d’amour, d’habitudes, de potes et de tendresse.
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Il a perdu son père, mais, en fin de compte et non sans culpabilité, s’enrichit chaque jour : la découverte de l’engagement politico-sociétal; et la (re)découverte des émotions, des sens, du plaisir; de l’autre, de soi.
Un livre qui aborde l’engagement, le véganisme, la permaculture, l’amour, la pleine conscience, la différence, les doutes existentiels..
Qui m’a fait rire autant qu’il ma touchée...
La lecture de ce livre ayant soulevé moult questions : Manu Causse m’a fait le plaisir de répondre à mes questions de passionnée des mots ; tout autant que de la cuisine végétale et de la consommation raisonnée.
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Bonjour Manu ! Je vous remercie sincèrement d’avoir pris le temps de répondre à mes questions 😊
  • Légitimement, l’on se demande si votre roman est un livre « équilibré et objectif » comme l’exposé de Zoé et Siam ; ou intimement engagé : comment vous positionnez-vous quant aux questions environnementales ? Vous souciez-vousde l’avenir éthique de la planète ?

Je crois que le roman est objectivement engagé, ou objectif dans son engagement 😉

Je suis très sensible aux enjeux environnementaux, et je regrette qu’ils n’apparaissent pas comme une priorité politique – je veux dire, comme le cap vers lequel nous devons nous tourner pour avancer vers l’avenir.

Cela dit, je suis aussi très intéressé par la complexité des situations – économiques, sociales, politiques, et même artistiques et émotionnelles. C’est ce que j’ai essayé d’incarner dans Le bonheur : Nathan porte à la fois le poids d’un engagement dans l’action et de son histoire personnelle, qui sont étroitement liés.

 

  •  « Voter en glissant un bulletin dans l’urne »: Qu’en est-il de vos opinions socio-politiques ? (ZAD, nucléaire, déchets, agriculture)

Je suis romancier parce que je n’ai pas un discours très construit sur la politique ; en d’autres termes, je préfère montrer des personnages qui ont des idées et des opinions, sans les juger, en essayant de les comprendre, voire de les aimer.

Certains ont des idées assez proches des miennes, mais je crois que dans leur ensemble ils reflètent surtout mes doutes.

En fait, politiquement, je suis pour le doute permanent, rationnel et bienveillant, et l’écoute des autres.

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  •  « Voter avec son porte-monnaie »: Qu’en est-il de votre consommation ? Quel consom’acteur êtes vous : Êtes-vous, vous-même, végéta*ien comme la mère de Nathan ? Bio ?

Pas du tout ; je suis même amateur de viande et de produits d’origine animale.
Pire encore, au risque de faire hurler vos lecteurs, j’ai du mal à penser un repas sans produit animal – j’adore cuisiner, mais mon éducation et mes goûts font qu’un repas végétalien, par exemple, reste étranger à mes pratiques.

Néanmoins, j’entends aussi les arguments des végétariens et des défenseurs des animaux, et j’essaie de concilier ça avec la façon dont j’ai appris à m’alimenter, en réduisant la part de viande, en passant souvent par les circuits courts et locaux. J’ai adhéré un temps à une AMAP, j’en suis parti pour des raisons économiques et de satisfaction.
En fait, je suis fan de mon marché du mardi, du primeur à côté de chez moi, bref, des aliments de qualité.
J’essaie aussi de consommer un peu moins, davantage en conscience, un peu comme les parents de Siam.

La prise de conscience environnementale est je crois une des voies d’évolution de l’humanité, un lent progrès.

  • Etes-vous un roots ? 😉

J’adorerais porter des dreads et des vêtements de chanvre, mais je suis chauve avec la peau sensible J Mais j’ai l’impression de plonger mes racines dans les terres où j’ai grandi, réparties un peu partout dans le sud-ouest, et j’ai besoin de nature même si je vis en ville.

  • Que pensez-vous de cette « consom’action » bio, veggie, éthique que vous abordez dans votre livre?

Je suis partagé entre une certaine méfiance/incompréhension, une admiration et un sentiment de tendresse.

Certains choix de consommation me paraissent excessifs, peu pratiques, voire contraires à un certain bon sens.

Ça ne m’empêche pas de les respecter, de voir leur intérêt et de réfléchir à leur sujet. Limiter la consommation, le gaspillage, les emballages, économiser l’eau et les matières premières sont pour moi des points essentiels ; quand la réponse passe par un rejet du progrès, j’ai davantage de mal à suivre. Mais évidemment, on pourrait discuter de ce qu’est le progrès…

 

 

Du « vomi de soja? » Non, Nat : des pâtes à la sauce tofu soyeux- levure maltée – chou-fleur. Et du quinoa façon risotto, cuit à feu doux dans du jus de légumes couscous ! 😋

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  • N’en véhiculez-vous pas des clichés dans Le bonheur ?

Je ne sais pas si je véhicule des clichés ; pour moi, c’est plutôt l’observation d’un milieu social et local que l’on peut retrouver dans des villes petites et moyennes, en particulier dans le Sud-ouest, une nouvelle vague du « retour à la terre » – avec de gros guillemets, car ce serait très schématique. Également, il s’agit de personnages : sans caricaturer, on a besoin de caractères marqués pour faire progresser l’action. 

 

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Aborder le bio, l’agriculture, le véganisme dans un roman jeunesse est aussi rare que puissant : amener les jeunes à se s’interroger sur ces questions n’aurait-il pas encore plus d’impact et de sens, que de n’aborder ces thématiques cruciales qu’à l’âge adulte ?

Même si j’aime l’idée de donner à réfléchir à mes lecteurs, je n’ai pas la prétention de faire autre chose que présenter des notions, des idéesje ne prends pas parti, sinon dans le sens de l’écoute, du respect et de la bienveillance.
Cela dit, je pense que les jeunes lecteurs se posent la question autant, sinon davantage, que moi.

En effet, on trouve de plus en plus de sources sur le bio, l’alimentation végétale (et leurs opposés) ; la question du statut de l’animal se pose aujourd’hui davantage, et je pense que les adolescents et jeunes adultes y sont confrontés.
Dès lors, le roman ne fait que mentionner des questions d’actualité…

  • Mais pourquoi choisir d’aborder ces thèmes ?

La lutte de Sivens, avec son issue tragique, m’a marqué ; j’avais envie de parler de ces conflits autour de l’environnement, du sentiment d’injustice, des enjeux du développement à tous les sens du terme – et aussi un peu de rendre hommage aux jeunes gens victimes de violence, institutionnelle ou non.

Toutefois, ce thème qui m’a inspiré en a rencontré d’autres, celui du passage au statut d’adulte, le deuil du père… bref, les fils se sont mis en place un par un pour aboutir à l’histoire que j’avais envie de rencontrer.

  • Le roman nous fait vivre les occupations zadistes de l’intérieur : lors du rassemblement à la ZAD, l’on réalise que les ados dressés contre le projet de décharge, sont accompagnés de leurs parents, porteurs des mêmes idées : cela signifierait-il que les enfants portent vraiment leurs propres opinions ; ou retranscrivent celles de leurs parents ? Que pensez-vous de l’engagement politique et sociétal des jeunes, dont on entend tout et son contraire ?

Je pense que, comme dans tous les autres secteurs de l’existence, nous transmettons à nos enfants des idées et des comportements politiques – que ce soit consciemment ou non. Ils les reproduisent donc normalement pendant un temps – ils s’en emparent, les intègrent, se font peu à peu leurs opinions.

Je viens d’une famille où nous aimions (et aimons encore) refaire le monde autour d’un bon repas ; j’y ai appris peu à peu à réfléchir, à m’interroger, et sans doute à former mes propres opinions.

Quant à l’engagement des jeunes, je pense… que la catégorie « jeunes » ne veut pas dire grand-chose, et que donc aucune réponse n’aurait beaucoup de sens. Toutefois, je suis toujours curieux de voir comment mes fils, et les enfants de mon épouse, abordent les questions politiques – leurs idées, leur façon de s’informer, de réfléchir, de communiquer. Je crois que, certaines fois, ce sont eux qui m’influencent. En ce dimanche électoral, j’ai voté comme mon fils de 18 ans, pas le contraire 😊

 

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  • Qu’en est-il de ces questions éthiques dans votre environnement proche ? Votre lieu de vie est-il touché par des projets contraires aux opinions écologistes ?

Comme je le dis dans les remerciements, le roman s’inspire de la lutte autour du barrage de Sivens et de sa fin tragique – je vis à Toulouse, qui est à côté.

« Ce livre n’a aucunement la prétention de lui rendre hommage ; mais mes pensées vont à ses proches »

La commune où j’ai grandi est elle aussi touchée par un projet « environnemental », plus complexe : un centre de traitement des déchets, qui occasionne sans doute une certaine pollution bien qu’il soit axé sur le recyclage.

 

« Visiblement, la plupart ici acceptent d’entendre quelqu’un qui ne pensent pas comme eux ».

  • Au-delà de l’écologie, votre livre aborde la tolérance dans sa globalité : envers ceux qui consomment différemment, pensent différemment ; ou sont différents. Est-ce une valeur fondamentale pour vous, d’autant plus pour les jeunes ?

Oui, ça l’est : je pense qu’on peut apprendre à être heureux, ou davantage heureux, en prenant conscience des différences et des particularités de chacun, et les siennes propres ; en acceptant l’autre pour ce qu’il est, malgré nos peurs, nos colères, les sentiments négatifs qu’il peut nous inspirer.

Dans le roman, c’est l’apprentissage que Nathan vit avec sa mère – qu’il déteste au départ, mais découvre peu à peu, et parvient à aimer.

 Il découvre aussi, en faisant le deuil de son père, un univers qu’il ne connaissait pas et auquel il finit par s’attacher. Bref, sa trajectoire est celle d’une maturation – et je l’espère, d’un cheminement vers le bonheur.

 

  • Votre livre aide –par un parti pris novateur et touchant- les jeunes à s’adapter à un environnement social et affectif inconnu et déstabilisant

Merci beaucoup, ça me touche.

Je serai heureux si le roman peut aider des lecteurs à mieux vivre leur situation personnelle, s’il leur ouvre des portes ou leur donne des perspectives – même si son but premier est de faire passer un bon moment de lecture.

Merci encore Manu pour votre honnêteté et votre disponibilité !

 

 

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Le livre est plein de références ; mais pour en prolonger l’esprit, voici mes idées de lecture croisées :

🌿Des amours adolescents sur fond de lutte incarnée, pour protéger la forêt d’un projet industriel et des « pilleurs de Nature » > L’attrape-rêves de XL. Petit

🌿 Du militantisme écolo touchant et « original » avec Ecorces de X. Gloubokii dont je vous parlais ici 

🌿Un livre qui pointe nos contradictions, drôle et émouvant : comme Trente-Six chandelles, où l’on retrouve un personnage qui (re)prend goût à la vie, au-delà de la mort, se (re)constuit en se clarifiant son rapport à ses parents..

 

 

Pensées feuillues !


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