Ciné débat LA PART DES AUTRES : précarité et aide alimentaires pensées et pansées

SOLIDARITÉ DIGNE RÉCIPROQUE

J’ai assisté cette semaine à un ciné-débat autour du documentaire « La part des autres« , en présence d’un représentant du CIVAM.

En ouverture de la projection, ce dernier a mis en lumière le décrochage entre l’insatisfaction alimentaire croissante et multiples précarité alimentaires (financière, nutritionnelle, culturelle).

Celles-ci sont mises en perspective par le documentaire, de la production à la consommation; avec pour fil rouge le système d’aide alimentaire, qui de recours d’urgence est devenu une politique structurelle qui enferme les bénéficiaires dans une situation de dépendance à cette alimentation low cost.

Partant du constat d’une méconnaissance mutuelle entre certains segments de producteurs et certains segments de consommateurs, les protagonistes du film veulent remettre de la dignité au cœur de cette relation, afin de refaire société autour de l’alimentation.

Il montre bien que la précarité alimentaire ne concerne pas que les consommateurs , mais aussi les producteurs : pour 1/3 d’entre eux, les aides sont à la fois indispensables et insuffisantes. Sous perfusion de la PAC, ils subissent l’évolution des missions de celle-ci. D’un objectif d’autosuffisance alimentaire, elle a dévié vers une politique agro-industrielle, encourageant la concentration des exploitations et la production d’une alimentation low cost standardisée.

Dans cette lignée, les enveloppes financières ont remplacé les surplus agricoles (des paysans) pour alimenter une aide alimentaire au service de l’agro-industrie.
Sans les aides d’une PAC qui occulte le volet alimentaire, pour servir une agriculture industrialisée,  « tout le système s’effondre ».

Alors certains agriculteurs s’émancipent de ce schéma pour produire une alimentation paysanne plus qualitative, mais celle-ci ne rencontre qu’une catégorie de la population, et  ne pénètre pas facilement le marché (car trop chère). Tout comme certains publics ne peuvent accéder au marché, faute de moyens.

Alors qui nourrit qui?
Les paysans nourrissent les riches et les industriels les pauvres ?

La précarité alimentaire réciproque est liée au modèle de production encouragé.
L’acte de production est ainsi partie prenante de la réflexion sur l’acte d’achat, afin de faire converger les attentes du citoyen et du producteur.

Car l‘alimentation est un sujet central de la crise sociale, par l’enjeu de l'(in)accès pour tous à une alimentation de qualité.

Alors qu’une part croissante de la population y échappe, elle implique une revalorisation du prix, dont le producteur ne touche qu’un pourcentage dérisoire… ce qui participe d’un bout à l’autre de la chaîne à la crise socio-économique.

« De la graine à l’assiette, la ressource est confisquée  » par l’industrie ; qui en est même venue à profiter du don des surplus aux associations. La défiscalisation de ces « dons » (coordonnés par d’habiles start-up) n’encourage pas à la baisse du gaspillage via la baisse de la production et de la concentration des exploitations au service de l’agro-industrie.

Face à ces constats, citoyen et paysans s’interrogent sur la stratégie industrielle et la volonté politique.

Le système actuel catégorise la population en fonction de l’alimentation à laquelle elle peut accéder et il n’est pas lieu de se réjouir que ceux qui bénéficient de l’aide alimentaire soient toujours plus nombreux.
Car d’une part c’est acheter la paix sociale en maintenant les  » insatisfaits » (alimentaires et sociaux) dans une situation de dépendance à une aide structurelle. Et d’autre part elle leur retire la dignité d’une alimentation de qualité qu’ils pourraient choisir eux-mêmes.
On réserve la malbouffe au public des banques alimentaires, qui aujourd’hui ne risquent plus la faim mais la malnutrition.

La dignité ce n’est pas offrir la charité ou réserver une certaine alimentation à une certaine frange de la population.

C’est refaire société autour de l’alimentation et renouer le lien entre producteurs et consommateurs, dans leur diversité.

Ainsi, des initiatives fleurissent en ce sens : implication de divers publics dans les travaux de la ferme ; moments de convivialité où se mêlent vente directe, rencontres entre les différents acteurs de la chaîne alimentaire et repas en commun.

Car la vente directe n’est pas réservée aux bobos; et l’isolement social ou le manque d’éducation culinaire ne sont pas l’apanage des plus défavorisés.
Ce serait perpétrer le système que de catégoriser les initiatives en fonction des Catégories Socio-Professionnelles.
Alors tel groupement d’achats solidaire et participatif s’établit dans un quartier (certes avec des HLM, mais ainsi ouvert à tous : enseignants, retraités, mères célibataires); les bénévoles s’investissent dans des épiceries solidaires où les bénéficiaires choisissent leurs produits avant de les passer en caisse…

J’ai été très intéressée par le lien entre les différentes précarités alimentaires, leurs racines structurelles, la conscience d’une insatisfaction alimentaire et malgré tout le maintien dans une alimentation qu’on sait de mauvaise qualité.

Et très touchée par la volonté de ces démarches dignes et solidaires pour sortir les participants de l’exclusion (isolement social, inaccès à certains marchés alimentaires) car l’aide alimentaire tend à être plus asservissement que sécurité et émancipation.

Pendant le débat s’est posée la question de la « baisse » de la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation.

D’une part l’alimentation low cost n’intègre pas dans son prix les externalités négatives payées de manière détournée (santé, impôts, environnement).

D’autre part, l’assistante sociale d’une épicerie solidaire a fait remarquer que le budget des ménages contenaient des dépenses « non indispensables » (sans généraliser la manière dont cela se traduit, nos « besoins » pour appartenir à la société se sont multipliés).
Quand j’ ai (osé!) intervenir, j’ai entre autres rappelé ces polémiques qu’il y avait lors de l’émergence du mouvement des Gilets jaunes. Si ma mémoire est bonne, Untel avait dit que les GJ protestaient car ils n’arrivaient pas à joindre les deux bouts, alors que certains dépensaient leur argent en nouvelles technologies ou gadgets inutiles.
À quoi s’était-il vu répondre, en gros, qu’il était scandaleux de tenir ce genre de considération  depuis sa boboitude parisienne, alors que consommer est pour ces personnes là dernière manière de faire partie de la société.
La bienpensance empêcherait-elle de de discuter de cet état de fait, que nos dépenses, même pour les plus précaires, concernent parfois des besoins artificiels que l’on aurait pu éviter, à renforts de résistance à la frustration ?

J’espère qu’elle ne refusera pas la discussion sur le citoyen-consommateur : à savoir qu’aujourd’hui, au-delà des classes, le consumérisme est devenu le moyen de s’intégrer à la société, sinon de faire société.
Le débat touchait à sa fin, mais nous regrettions tous cet état de fait que j’ai pu développer ici ou , puisque c’est à une nécessaire transition individuelle et sociétale qu’il appelle.

Ce ciné-débat a donc questionné de diverses manières ce que  « faire société » signifie, puisqu’on fait de moins en moins  société autour de l’alimentation ; et que parallèlement, l’encouragement à l’individualisme et au consumérisme ébranlent le vivre-ensemble.

Les initiatives montrées dans ce court documentaire remplacent la charité mal-placée par une dignité replacée, au cœur de cette chaîne universelle et précieuse qui se tisse entre les mangeurs, producteurs ou consommateurs.

Des graines de solidarité qui, sans pouvoir résoudre les faiblesses structurelles, les regardent en face pour mieux les penser et les panser localement.

Pour aller plus loin..

«L’alimentation est la variable d’ajustement  » : précarité et transition alimentaires, accès à une alimentation de qualité, tension sur les prix, lien social .. L’émission des Bonnes choses consacrée à l’accès pour tous au « bien manger« 

Des documentaires, livres ou articles vous ont-ils ainsi interpellé.e.s sur ces sujets?


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